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Echange avec Claire Lajaunie

Claire Lajaunie (INSERM) est juriste de droit public, spécialiste en droit de l’environnement. Elle est chercheuse au Laboratoire Population Environnement Développement (AMU-IRD) à Marseille et chercheuse associée au Strathclyde Centre for Environmental Law and Governance (Glasgow). Son travail porte notamment sur le droit de la biodiversité et la santé et plus particulièrement les maladies infectieuses au travers des approches One Health et Planetary Health. Également titulaire d’un Master de Sciences en développement rural (Université de Londres, SOAS) elle étudie les relations entre droit de l’environnement, écologie et développement.


Bonjour Claire Lajaunie, et merci de prendre ce temps avec nous. Pour commencer cet échange, pouvez-vous nous donner votre définition personnelle du One Health, mais aussi nous expliquer pourquoi ce concept est utile aujourd’hui ?

Sans lire de définition officielle, je dirais que c’est une façon de faire communiquer la santé animale (la santé des animaux d’élevages et santé de la faune sauvage, qui sont deux secteurs qui travaillent d’ailleurs peu ensemble), la santé des écosystèmes (mais comment la mesurer sans faire d’analogie trop grossière) et la santé humaine (un secteur plus cadré). Il s’agit de faire coopérer ces secteurs, notamment sur les questions des maladies infectieuses, pour appréhender une même maladie de différents points de vue. A ce titre, la pandémie et ses multiples chaînes de transmission ont fait prendre tout son sens à ce concept ; et l’intérêt de l’approche One Health est justement de prévenir ce genre de pandémie en amont. En d’autres termes, il s’agit bien de regarder ensemble ces trois santés pour oeuvrer à une meilleure santé de tous.


 

On parle en effet beaucoup des maladies infectieuses. Mais n’existe-t-il pas d’autres liens entre ces différentes santés ?

En effet, c’est d’ailleurs un sujet de travail avec Serge Morand. Car évidemment, les maladies chroniques sont en partie dues à une détérioration de l’environnement (particules fines, perturbateurs endocriniens…). A ce titre, il faut d’ailleurs distinguer santé de l’environnement et santé environnementale. La santé environnementale est déjà très bien étudiée par le secteur médical puisqu’il s’agit de comprendre les effets négatifs de l’environnement sur la santé. En réalité, il serait plus exact de parler des effets négatifs des atteintes à l’environnement faites par l’homme. Ce n’est pas l’environnement qui est intrinsèquement dangereux mais bien les conséquences des activités humaines. Pourtant, ce n’est pas comme ça qu’on en parle aujourd’hui dans les milieux médicaux.


 

A l’inverse, la “santé de l’environnement” serait bien l’étude de ce double lien entre activité humaine - environnement - santé humaine ?

Oui, et c’est l’intérêt de l’approche One Health. Avoir une approche systémique qui est centrée à la fois sur les questions de santé et celles d’environnement ; et qui nous permet de regarder les évènements à l’échelle de la planète (à ce titre, le concept de santé planétaire est aussi intéressant). L’intérêt est d’étudier comment, en protégeant l’environnement, on peut prévenir de certaines atteintes à la santé humaine. C’est d’ailleurs un discours qui fonctionne dans les différentes institutions qui s’intéressent au concept : montrer qu’in fine, il y a des répercussions de ce type de travaux sur l’humain (et pas uniquement pour “l’environnement”).


 

N’est-ce pas d’ailleurs problématique ? Ne faudrait-il pas vouloir améliorer la santé animale ou des écosystèmes de façon plus désintéressée ?

C’est un sujet complexe. Car en réalité, en améliorant la santé d’un environnement, en souhaitant le “préserver”, comment être certain que cela ne va pas à l’encontre de la santé de certains animaux ? C’est toute la difficulté de définir ce qu’est un environnement sain : par rapport à quel état ? avec quelle référence ? C’est forcément dépendant d’un contexte donné. La biodiversité d’un écosystème peut être une mesure, mais de quelle biodiversité parle-t-on ? Celle des microbes ? Celle des sols ? A quelle échelle se place-t-on ? Des choses saines à une échelle peuvent moins l’être à une autre. C’est une question très complexe.


 

En outre, parler de santé des écosystèmes ne revient-il pas nécessairement à poser comme référence un état initial qu’il s’agit alors à tout prix de protéger, et ainsi de refuser toute forme d’évolution “naturelle” ?

C’est une autre question centrale, qui rejoint celle de la restauration des écosystèmes. Qu’est-ce que c’est ? Quel est le référentiel ? A quelle échelle de temps ? Ces questions montrent d’ailleurs l’intérêt d’avoir une approche comme One Health : on dispose d’une approche intersectorielle pour les politiques à mettre en oeuvre, nourries par de la recherche scientifique interdisciplinaire (mais aussi de la science participative).


 

Avez-vous justement un exemple de projet interdisciplinaire ? Et quels ont été les apports concrets d’un tel regroupement ?

Certains projets semblent fonctionner (même si c’est toujours délicat de définir des critères de succès), en Thaïlande notamment. Par exemple, on achève un projet baptisé “FutureHealthSEA, le futur de la santé en Asie du Sud-Est”, avec notamment l’émission de scénarios pour le futur de cette santé. La question était de comprendre quels types de maladies pouvait-on voir émerger à l’avenir, et sous l’effet de quels facteurs environnementaux ? Sur fond de One Health, un grand travail de sciences participatives a été mené notamment par nos collègues thaïlandais, avec la création d’un Observatoire des “mauvaises herbes”. Le projet FutureHealthSEA est le fruit d’une collaboration très prometteuse entre le ministère de la santé, qui essaie de décloisonner son approche, les parcs nationaux, les forêts, l’agriculture, les dispensaires locaux… Bref beaucoup de départements qui se réunissent pour parler de santé, ce qui est très prometteur.


On travaille également sur le projet “One Health en pratique en Asie du Sud-Est”, qui est financé par le ministère des affaires étrangères, et qui vise à assurer les synergies entre les instituts de recherche français sur la recherche One Health. Parmi les sujets explorés : le circuit légal et illégal de la faune sauvage, que je dirige, ou une étude sur la perception des rongeurs… Ces travaux sont une première avancée, et il faudra qu’ils puissent être traduits en actions concrètes, ce qui peut parfois s’avérer délicat.


 

Justement, à quelle échelle peut-on aujourd’hui développer de façon très concrète une approche One Health ? Mondial ? National ? Local ?

A titre personnel, j’ai le sentiment que c’est au niveau local que ce concept peut véritablement devenir opérationnel. On peut imaginer de nouvelles entités, qui auront l’avantage d’être plus souples que celles déjà présentes, des collaborations avec les Maisons de la Santé qui voient le jour sur le territoire, ou avec les ONG présentes. Je crois beaucoup dans des projets pilotes, qui pourraient être faits en collaboration avec des communes. La région Nouvelle-Aquitaine, par exemple, souhaite se positionner sur l’approche One Health, et on devrait donc assister à la naissance de projets concrets. Au niveau national à l’inverse, on risque de rester à de grandes incantations qui ne seront pas suivies d’actions et qui ne permettront pas aux citoyens de se saisir du sujet.


 

Vous êtes juriste. Comment le droit devrait-il évoluer pour encourager la diffusion d’une approche One Health ? Ne faudrait-il pas reconnaître une personnalité juridique aux entités naturelles pour véritablement avancer sur ce sujet ?

Il faut en effet adapter le droit. Certaines initiatives ont vu le jour mais elles se sont souvent limitées à prendre des articles du code de la santé et à y apporter des modifications mineures, en ajoutant la notion d’environnement.


Sur la question des entités naturelles, on peut penser de nouvelles relations, mais je ne sais pas s’il est possible (ou même efficace) d’importer des pratiques législatives qui ne sont pas les nôtres. A mon sens, il s’agit davantage d’un problème de volonté politique que de personnalité juridique. Ceci étant dit, on voit que le Conseil d’Etat commence à prendre un certain nombre de décisions intéressantes qui osent gêner l’Etat ; ce qui révèle bien que la sensibilisation et la formation des magistrats de droit public sont un enjeu majeur.


Il faut bien comprendre que le droit de l’environnement, aujourd’hui, n’est pas assis sur des bases solides car il est rempli de principes non contraignants au niveau international, comme le droit à un environnement sain, qui peuvent être interprétés de façon différente par les magistrats. Il s’agit donc aujourd’hui de se doter de bases juridiques plus solides que de simples déclarations, ce qui a eu lieu au niveau national, pour permettre à la justice de pleinement se saisir de ces principes, notamment dans le cadre des décisions (nombreuses) relevant de conflits d’usages.


 

Finalement, adopter une approche One Health revient-il à prendre des décisions en intégrant davantage de points de vue que dans le passé ?

Certainement oui, et cela va compliquer la prise de décision, d’autant qu’il faudra s’exprimer “au nom de ” (des animaux ou des écosystèmes). Or, on connait certains conditions d’épanouissement de certains mais la question du bien-être commun est délicate, et il sera difficile d’être certain de bien saisir les intérêts de chacun. Il s’agit de réconcilier des partis qui ont des usages très différents d’un territoire et en cela, le niveau local semble à nouveau le plus approprié. C’est une sorte de nouvelle démocratie participative qu’il faut inventer, qui ne se limite pas seulement aux humains. Cela implique un dialogue et des collaborations nouvelles, qui se dessinent déjà parfois. A Marseille par exemple, on utilise des furets pour chasser les rats ; et on pourrait aussi travailler avec les goélands pour nettoyer certains déchets (et ainsi dépasser l’opposition entre conservation et expulsion). De ce genre de situations peuvent naître des idées One Health, qui nécessitent des collaborations complexes entre écologues, citoyens, sociologues, épidémiologistes…


 

Une dernière question. On a souvent une vision très terrestre de l’approche One Health. Mais comment s’incarne-t-elle aussi dans les océans ? Quelles interrelations de santé prennent place dans ces espaces ?

Beaucoup de sujets existent. Celui de l’aquaculture, car on élève des poissons dans des bassins en pleine mer tout en utilisant des produits antibiotiques, et ces produits ont ensuite un impact sur la faune et la flore (sur toute la chaîne alimentaire en réalité). Une autre grande question est celle des microplastiques, qui sont consommés par les poissons (puis, par leur intermédiaire, par les humains) et qui proviennent de l’activité humaine (navires de fret, lavage des vêtements). Enfin, on peut aussi parler der la découverte récente de nouveaux antibiotiques dans les fonds marins, de l’impact gigantesque qu’aurait l’exploitation minière des grands fonds (deep mining), ou encore de l’impact très rapide (davantage que sur Terre) du changement climatique sur les océans.




Propos recueillis par Joseph Sournac et Yoan Brazy, et publiés en accord avec la personne interviewée.


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